Multitasking đđđ§ et Ă©ducation au MarocđČđŠ : un systĂšme scolaire sous pression
Multitasking đđđ§ et Ă©ducation au MarocđČđŠ : un systĂšme scolaire sous pression
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MESSAOUDI ABDELKARIMÂ
Imaginez un jongleur sur une place animĂ©e de Marrakech, tentant de garder en lâair une dizaine de balles Ă la fois. Certaines tombent, dâautres sâenvolent, et le spectacle, bien quâimpressionnant, frĂŽle souvent le chaos. Câest un peu lâimage du systĂšme Ă©ducatif marocain đđČđŠ aujourdâhui : une surcharge de matiĂšres scolaires, une pĂ©dagogie axĂ©e sur la rĂ©vision et la rĂ©citation, et des Ă©lĂšves qui, malgrĂ© leurs efforts, peinent Ă dĂ©velopper un esprit critique et analytique. Dans cet article, je vais explorer pourquoi le multitasking â cette capacitĂ© Ă gĂ©rer plusieurs tĂąches simultanĂ©ment â pose problĂšme dans les Ă©coles marocaines, et comment la structure actuelle du systĂšme freine le dĂ©veloppement des compĂ©tences essentielles pour le 21e siĂšcle. On va plonger dans les donnĂ©es, les thĂ©ories, et mĂȘme quelques anecdotes pour rendre tout ça plus concret. PrĂȘt·e ? Allons-y ! đ Â
1.Le multitasking : une illusion cognitive dans la classe đ§ đ§ đđ
Le multitasking, câest cette idĂ©e quâon peut faire plusieurs choses Ă la fois avec la mĂȘme efficacitĂ©. En thĂ©orie, ça semble gĂ©nial : apprendre la gĂ©ographie tout en rĂ©visant les maths et en mĂ©morisant un poĂšme. Mais la science dit autre chose. Selon une Ă©tude de đšđšlâAmerican Psychological Association (2006), le cerveau humain ne peut pas rĂ©ellement traiter plusieurs tĂąches cognitives complexes en parallĂšleđšđš. Ă la place, il passe rapidement dâune tĂąche Ă lâautre, ce quâon appelle le task-switching. Chaque changement coĂ»te du temps et de lâĂ©nergie mentale, rĂ©duisant lâefficacitĂ© globale. Â
Dans les Ă©coles marocaines, ce phĂ©nomĂšne est amplifiĂ© par un programme scolaire surchargĂ© ( 6 heures d'Ă©tudes par jour, diverses matiĂšres et compĂ©tences). Avec jusquâĂ 12 matiĂšres par an pour les Ă©lĂšves du secondaire (maths, physique, arabe, français, histoire, gĂ©ographie, sciences, etc.), les Ă©tudiants jonglent constamment. Une Ă©tude du Conseil SupĂ©rieur de lâĂducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS, 2014) souligne que cette surcharge quantitative entraĂźne une fragmentation de lâattention et une baisse des performances acadĂ©miques. đ Â
Prenons lâexemple de Fatima, une collĂ©gienne de 15 ans Ă Safi. Chaque jour, elle passe dâun cours de chimie Ă un autre dâhistoire, puis Ă un exercice de grammaire française, sans vĂ©ritable temps de transition. Ă la maison, elle doit rĂ©viser tout ça en mĂȘme temps pour les examens. RĂ©sultat ? Elle mĂ©morise des formules et des dates, mais elle a du mal Ă comprendre les concepts ou Ă les appliquer dans des contextes nouveaux. Ce nâest pas sa faute : son cerveau est en surcharge, comme un ordinateur avec trop dâonglets ouverts. Â
2.Pourquoi le multitasking échoue en classe
đ§ đšđšLa thĂ©orie de la charge cognitive,đ§ đšđš dĂ©veloppĂ©e par John Sweller (1988), explique pourquoi cette approche est problĂ©matique. Selon Sweller, notre mĂ©moire de travail â la partie du cerveau qui traite les informations en temps rĂ©el â a une capacitĂ© limitĂ©e. Quand on lui demande de gĂ©rer trop dâinformations Ă la fois, elle sature. Dans le contexte marocainđČđŠđđ, les programmes scolaires, souvent conçus pour couvrir un maximum de contenus, ignorent cette limite. Les Ă©lĂšves sont bombardĂ©s de donnĂ©es sans avoir le temps de les intĂ©grer ou de les relier Ă des connaissances prĂ©alables. Â
En plus, le multitasking scolaire marocain est aggravĂ© par des conditions matĂ©rielles difficiles. Des classes surpeuplĂ©es (parfois 40 Ă 50 Ă©lĂšves) et un manque de ressources pĂ©dagogiques modernes (comme les tablettes ou les laboratoires) rendent lâapprentissage encore plus fragmentĂ©. Une Ă©tude de lâOCDE (PISA 2022) classe le Maroc au 71e rang mondial en mathĂ©matiques et au 79e en comprĂ©hension de lâĂ©crit, soulignant des lacunes dans les compĂ©tences analytiques des Ă©lĂšves. Â
3.Une surcharge quantitative : trop de matiĂšres, pas assez de profondeur
Le systĂšme Ă©ducatif marocain est comme une bibliothĂšque oĂč lâon empile des livres sans jamais prendre le temps de les lire. Depuis lâindĂ©pendance, le Maroc a misĂ© sur lâexpansion quantitative de lâĂ©ducationđ”âđ«đ”âđ«đ”âđ«âŹïžâŹïž : plus dâĂ©coles, plus dâĂ©lĂšves, plus de matiĂšres. Selon des donnĂ©es historiques, les effectifs scolaires ont explosĂ©, passant de 300 000 Ă©lĂšves en 1956 Ă plus de 7 millions en 1998. Cette massification Ă©tait nĂ©cessaire pour dĂ©mocratiser lâaccĂšs Ă lâĂ©ducation, mais elle a eu un coĂ»t : la qualitĂ©. Â
Aujourdâhui, un Ă©lĂšve marocain du secondaire peut avoir Ă gĂ©rer jusquâĂ 30 heures de cours par semaine, rĂ©parties sur une douzaine de disciplines. Chaque matiĂšre vient avec son propre manuel, ses propres examens, et ses propres attentes.Â
[[ Le problĂšme, câest que cette approche favorise la mĂ©morisation au dĂ©triment de la comprĂ©hension ]]. Une Ă©tude de 2015 dans Nouveaux cahiers de la recherche en Ă©ducation montre que les enseignants marocains, malgrĂ© les rĂ©formes comme lâApproche par CompĂ©tences (APC), restent ancrĂ©s dans une pĂ©dagogie de transmission des savoirs, oĂč les Ă©lĂšves rĂ©citent plutĂŽt quâils analysent. Â
4.LâApproche par CompĂ©tences : une rĂ©forme inachevĂ©e
Introduite en 2000, lâAPC visait Ă recentrer lâĂ©ducation sur le dĂ©veloppement de compĂ©tences pratiques, comme la rĂ©solution de problĂšmes ou lâesprit critique. En thĂ©orie, câĂ©tait une rĂ©volution : fini les cours magistraux oĂč lâĂ©lĂšve est un rĂ©ceptacle passif ! Mais en pratique, les choses sont plus compliquĂ©es. Les enseignants, souvent mal formĂ©s Ă cette approche, continuent dâutiliser des mĂ©thodes traditionnelles. đšđšSelon un rapport de lâAgence Française de DĂ©veloppement (AFD, 2010), lâAPC est freinĂ©e par des classes surpeuplĂ©es, un manque dâinfrastructures, et une formation initiale des enseignants insuffisante.  đšđš
Pour illustrer, pensons Ă un professeur de physique dans une Ă©cole rurale. Il a 40 Ă©lĂšves, un tableau noir, et un manuel dense Ă couvrir avant lâexamen national. MĂȘme sâil veut enseigner la rĂ©solution de problĂšmes, il nâa ni le temps ni les outils pour organiser des activitĂ©s interactives. Alors, il dicte des formules, les Ă©lĂšves les notent, et tout le monde passe Ă la matiĂšre suivante. Câest un cercle vicieux. Â
5.La pĂ©dagogie de la rĂ©vision et de la rĂ©citation đżđŽđŽ: un frein Ă lâesprit critique
Si le systĂšme scolaire marocain Ă©tait un jardin, il produirait beaucoup de fleurs, mais peu de fruits. La pĂ©dagogie dominante, centrĂ©e sur la rĂ©vision et la rĂ©citation, donne des rĂ©sultats visibles : des Ă©lĂšves qui obtiennent des notes correctes, des taux de rĂ©ussite aux examens nationaux en lĂ©gĂšre hausse (environ 60 % au baccalaurĂ©at en 2023). Mais ces chiffres masquent une rĂ©alitĂ© plus sombre : les Ă©lĂšves rĂ©ussissent souvent sans comprendre. Â
5.1.Pourquoi la récitation domine
Historiquement, la mĂ©morisation a toujours eu une place centrale dans lâĂ©ducation marocaine, influencĂ©e par les traditions dâapprentissage đđđcoranique oĂč la rĂ©citation verbatim Ă©tait valorisĂ©e. Cette approche, bien quâefficace pour transmettre des textes sacrĂ©s, est moins adaptĂ©e Ă un monde qui exige des compĂ©tences comme lâanalyse, la crĂ©ativitĂ©, ou la rĂ©solution de problĂšmes complexes. Â
Selon divers chercheurs marocains et pĂ©dagogues ââla routine de la rĂ©citation crĂ©e une âatmosphĂšre de dĂ©motivationâ chez les Ă©lĂšves et les enseignantsââ. Les Ă©lĂšves apprennent Ă rĂ©pĂ©ter des rĂ©ponses toutes prĂȘtes, mais ils sont rarement encouragĂ©s Ă poser des questions ou Ă explorer des idĂ©es par eux-mĂȘmes ( la discipline de l'histoire gĂ©ographique comme exemple). Prenons un exemple : en cours dâhistoire, un Ă©lĂšve peut rĂ©citer les dates des dynasties marocaines sans comprendre les dynamiques sociales ou Ă©conomiques de lâĂ©poque. Câest comme apprendre une recette sans jamais cuisiner. Â
5.2.Les consĂ©quences sur lâesprit critique
Lâesprit critique, câest cette capacitĂ© Ă questionner, Ă Ă©valuer, et Ă construire des arguments basĂ©s sur des preuves. Câest aussi ce qui manque cruellement dans les salles de classe marocaines. Une Ă©tude de lâUNESCO (2011) souligne que les systĂšmes Ă©ducatifs axĂ©s sur la mĂ©morisation produisent des Ă©lĂšves moins aptes Ă rĂ©soudre des problĂšmes non routiniers. Dans le cas du MarocđČđŠ, les rĂ©sultats PISA 2018 montrent que 36 % des jeunes de 15 ans nâont pas les compĂ©tences de base pour participer activement Ă la sociĂ©tĂ©, un chiffre alarmant. Â
Pour rendre ça concret, imaginez un dĂ©bat en classe sur le changement climatique. Dans une pĂ©dagogie idĂ©ale, les Ă©lĂšves analyseraient des donnĂ©es, proposeraient des solutions, et critiqueraient les politiques existantes. Mais dans beaucoup dâĂ©coles marocaines, le cours se limitera Ă un chapitre du manuel, appris par cĆur pour lâexamen. Pas de discussion, pas de questionnement. đ Â
6.Comment sortir de lâimpasse ? Des pistes pour un systĂšme plus Ă©quilibrĂ©
Alors, comment faire pour que nos Ă©lĂšves ne soient plus des jongleurs dĂ©bordĂ©s, mais des penseurs confiants ? Voici quelques pistes, basĂ©es sur la recherche et les bonnes pratiques internationales, adaptĂ©es au contexte marocain. Â
6.1. Réduire la surcharge des programmes
Moins, câest parfois plus. âŹïžâŹïžRĂ©duire le nombre de matiĂšres ou fusionner certaines disciplines (par exemple, histoire et gĂ©ographie) pourrait libĂ©rer du temps pour des apprentissages plus profonds. La Finlandeđ«đźđ«đźđ«đź, souvent citĂ©e en exemple, limite le nombre de sujets au primaire et met lâaccent sur des projets interdisciplinaires. Le Maroc pourrait sâen inspirer en introduisant des modules thĂ©matiques qui intĂšgrent plusieurs disciplines autour dâun mĂȘme sujet, comme lâenvironnement ou lâinnovation. Â
6.2. Former les enseignants à des pédagogies actives
Les enseignants sont la clĂ©. Des programmes de formation continue, axĂ©s sur des mĂ©thodes comme lâapprentissage par projet ou la rĂ©solution de problĂšmes, pourraient transformer les salles de classe. Une Ă©tude de Hattie (2012) montre que la qualitĂ© de lâenseignant a un impact plus grand sur les rĂ©sultats des Ă©lĂšves que la taille des classes ou les ressources matĂ©rielles. Le Maroc devrait investir massivement dans des ateliers pratiques pour les enseignants, comme ceux proposĂ©s par le programme GENIE pour lâintĂ©gration des TIC. Â
6.3. Encourager lâesprit critique dĂšs le primaire
Lâesprit critique ne sâapprend pas en une nuit. DĂšs le primaire, les Ă©lĂšves devraient ĂȘtre exposĂ©s Ă des activitĂ©s qui stimulent le questionnement : dĂ©bats, projets de recherche simples, ou mĂȘme jeux Ă©ducatifs. Par exemple, un projet sur đđđâComment Ă©conomiser lâeau dans notre village ?â đđđpourrait combiner sciences, maths, et Ă©ducation civique, tout en encourageant les Ă©lĂšves Ă proposer des solutions crĂ©atives. Â
6.4. Repenser lâĂ©valuation
Les examens actuels rĂ©compensent la mĂ©morisation. Et si on introduisait des Ă©preuves qui Ă©valuent la capacitĂ© Ă analyser ou Ă rĂ©soudre des problĂšmes ? Par exemple, un exercice de physique pourrait demander aux Ă©lĂšves de concevoir une solution pour rĂ©duire la consommation dâĂ©nergie dans une maison, plutĂŽt que de rĂ©citer des lois. Cela alignerait lâĂ©valuation sur les compĂ©tences du 21e siĂšcle. Â
7.Un appel Ă lâaction : changeons le rythme de lâĂ©cole marocaineđČđŠđČđŠ
Le systĂšme Ă©ducatif marocain est Ă un carrefour. Continuer Ă empiler les matiĂšres et Ă privilĂ©gier la rĂ©citation, câest comme demander Ă nos Ă©lĂšves de courir un marathon avec un sac trop lourd. Ils arriveront peut-ĂȘtre Ă la ligne dâarrivĂ©e, mais Ă©puisĂ©s et sans avoir appris Ă profiter du chemin.đ„”đ„”đ„”đ€ź En rĂ©duisant la surcharge, en formant mieux les enseignants, et en mettant lâaccent sur lâesprit critique, on peut transformer lâĂ©cole en un espace oĂč les Ă©lĂšves ne se contentent pas de survivre, mais sâĂ©panouissent. Â
Quâen pensez-vous ? Avez-vous des idĂ©es ou des expĂ©riences Ă partager sur la maniĂšre dont lâĂ©ducation pourrait Ă©voluer au Maroc ?
Résumé
Cet article explore les dĂ©fis du multitasking dans le systĂšme Ă©ducatif marocain, oĂč une surcharge de matiĂšres scolaires et une pĂ©dagogie axĂ©e sur la rĂ©vision et la rĂ©citation limitent le dĂ©veloppement de lâesprit critique et analytique des Ă©lĂšves. En sâappuyant sur des thĂ©ories comme la charge cognitive et des donnĂ©es rĂ©centes (PISA, CSEFRS), il montre comment le systĂšme actuel fragmente lâattention et freine les compĂ©tences essentielles. Des solutions comme la rĂ©duction des programmes, la formation des enseignants, et une Ă©valuation repensĂ©e sont proposĂ©es pour un avenir Ă©ducatif plus Ă©quilibrĂ©. Â
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đ§ đđđđđ§
-American Psychological Association. (2006). Multitasking: Switching costs. Â
-Conseil SupĂ©rieur de lâĂducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS). (2014). Ătat et perspectives du systĂšme dâĂ©ducation et de formation. Rabat. Â
-Ezzaki, A. (2018). Enseignement crĂ©atif : Lâinnovation pĂ©dagogique Ă la portĂ©e des enseignants au Maroc. ResearchGate. Â
-OCDE. (2022). Programme international pour le suivi des acquis des Ă©lĂšves (PISA) 2022. Â
-Sweller, J. (1988). Cognitive load during problem solving: Effects on learning. Cognitive Science, 12(2), 257-285.
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